Aux origines d’une technique : le sweep picking, un terrain de jeu pour virtuoses

Le sweep picking n’est pas né hier : la technique a vu sa reconnaissance exploser dans les années 80, principalement dans la sphère du metal et du rock progressif, avec des guitaristes comme Frank Gambale ou Marty Friedman. Pourtant, cet art du « balayage » des cordes séduit aussi le jazz et le jazz manouche – et Biréli Lagrène y a trouvé un terrain propice à l’invention.

Rappelons la base : le sweep picking consiste à enchaîner plusieurs notes sur des cordes différentes d’un seul mouvement fluide du médiator, plutôt que d’alterner le coup vers le bas puis vers le haut. Le résultat : une vélocité impressionnante, des arpeggios d’une limpidité rare. Si la technique attire d’abord par sa virtuosité, chez Biréli, elle devient un outil d’expression, d’accélération mélodique et d’hybridation stylistique.

Le sweep picking dans le jeu de Biréli : au cœur de l’improvisation jazz manouche

Alors que beaucoup l’associent uniquement à la fureur électrique, Biréli Lagrène intègre le sweep picking sur sa Selmer-Maccaferri comme sur une Gibson ES-175. Il ne s’agit pas de démonstration mais de musicalité. Un solo de Biréli, c’est souvent un feu d’artifice mélodique où le sweep s’invite à des moments inattendus : introduction d’un chorus, embellissement d’un thème ou transition harmonique éclatante.

Prenons l’anthologique « Made in France » (album Standards, 2002) : à 1’25, entre deux envolées en ternaire sans filet, Biréli glisse une cascade d’arpeggios sweeps sur la progression ii-V-I, conférant à la ligne une dimension aérienne, quasi orchestrale. On retrouve ce geste dans ses reprises d’ « All The Things You Are » (notamment sur scène à Vienne 2015), où il « balaye » les arpèges diminués avec une clarté rare dans le jazz manouche.

Une approche technique repensée : décryptage du sweep à la sauce Biréli

Comment reconnaître le sweep picking chez Biréli ? Au-delà de la vélocité, il y a cette manière toute particulière de soigner le son et l’articulation, héritée autant de la tradition manouche (la pompe, le staccato, le jeu sur les dynamiques) que des maîtres du jazz moderne. Voici quelques éléments-clés :

  • Main droite : Biréli utilise le plat du médiator pour effleurer jusqu’à cinq cordes d’un seul geste, avec une attaque toujours contrôlée, jamais « saldée ». L’aller-retour est minimisé pour privilégier la fluidité de la main.
  • Main gauche : Les doigts sont placés à la façon d’un pianiste sur les arpeggios : chaque note bénéficie de son propre doigté, parfois avec des barrés brefs ou des extensions (notamment sur les triades majeures/min7), permettant une diction parfaite même lors des écarts extrêmes.
  • Fluidité rythmique : Là où beaucoup figent la technique dans des séquences mécaniques, Biréli varie le phrasé : notes accentuées, syncopes, glissés, chromatisme intégré (ex : sur les arpèges diminués ou altérés), pour un résultat naturel, loin de la démonstration.

De Django à Biréli : influences croisées et filiation virtuose

Si Biréli repousse les frontières, c’est aussi parce qu’il s’inscrit dans une lignée. Django Reinhardt lui-même utilisait déjà, sans la nommer, une sorte de sweep picking dans ses fulgurances d’arpèges – certes avec deux doigts, mais toujours dans un esprit de fluidité et d’efficacité. On trouve chez Django sur « Minor Swing », en 1937, des descentes arpégiées qui rappellent ce travail du poignet, même si la main droite reste alors plus percussive.

D’autres figures-clés du jazz et du fusion ont contribué à enrichir le vocabulaire de Biréli : George Benson n’hésite pas à utiliser le sweep pour magnifier ses descentes sur standards (« Affirmation », Breezin’, 1976), tandis qu’Al Di Meola en fait un pilier de ses improvisations (voir « Race with Devil on Spanish Highway », 1977). Mais c’est sans doute l’écoute du jeu de Frank Gambale qui, dans les années 80, a incité Biréli à systématiser l’usage du sweep sur le manche, l’adaptant à la tradition jazz manouche (source : Guitarist, n°237, 2013).

Des exemples marquants : où entendre le sweep picking signature de Biréli ?

  • « Bireli Swing’ » (album Routes To Django, 1980) : à 17 ans, Biréli propose déjà des balancements de l’accord aux arpèges mineurs sur le refrain, enchaînant triades sweeppées et phrasé typiquement manouche.
  • « Donna Lee » live (Festival Django Reinhardt, 2016) : sa relecture du standard be-bop est fulgurante, le sweep picking soutenant des cascades d’arpèges sur les modulations rapides, imitant presque le saxophone.
  • « Cherokee » (concerts acoustiques, multiples enregistrements) : le solo climactique inclut des montées en sweep sur les changements de tonalité, technique qui lui permet de rester à la fois expressif et percussif.

YouTube et les enregistrements live abondent d’autres exemples, notamment lors de masterclasses captées par La Chaîne Guitare (lachaineguitare.com).

Sweep picking et improvisation : liberté accrue ou contrainte ?

Chez Biréli, la technique n’est jamais une cage : elle vient élargir le champ des possibles. On remarque que le sweep picking permet un passage éclair entre différentes positions sur le manche, une « connexion » verticale des arpeggios qui, autrement, prendrait plusieurs coups de médiator et ralentirait la pensée musicale. Dans l’improvisation, cela offre :

  • des phrases plus longues et aérées sur les progressions rapides (comme dans « There Will Never Be Another You » en trio live)
  • une capacité à moduler instantanément sur des substitutions d’accords
  • une expressivité accrue sur les fins de chorus : le sweep permet à Biréli d’ « atterrir » sur des notes ciblées avec panache
  • une articulation qui rappelle parfois la vélocité du violon ou du saxophone, outils d’imitation chers au jazz

Les improvisateurs guettent : le sweep picking peut parfois contraindre la ligne mélodique, l’obligeant à suivre la logique de la forme de l’arpège. Chez Biréli, ce risque est contourné par l’ajout systématique de notes de passage, de petits chromatismes ou de décalages rythmiques : il garde l’aspect organique de l’impro, sans basculer dans la mécanique pure (cf. Guitar Part, n°239, 2014).

Conseils pour les guitaristes : apprendre le sweep « à la Biréli »

  • Maîtriser la lenteur : commencer chaque motif lentement, travailler la clarté de chaque note et privilégier la régularité, même à faible vitesse.
  • Diversifier les doigtés : alterner travail sur des formes d’accords différentes (majeur, min7, diminué, augmenté), tester différents barrés et extensions de doigts à la main gauche.
  • Phrasé rythmique : essayer de casser les automatismes, ajouter des syncopes et accorder un soin particulier à la dynamique, pour faire swinguer l’ensemble.
  • Intégrer à l’improvisation : travailler à mêler sweeps et phrases plus « traditionnelles » (gammes, bends, slides…), comme le fait Biréli, afin que la technique serve la musique, et non l’inverse !
  • Regarder, écouter, jouer : observer les vidéos de Biréli (voir ses masterclass/chaînes YouTube officielles) reste sans égal pour capter le mouvement global du corps et l’intuition de la main droite.

Biréli, le sweep et l’évolution du langage jazz manouche

Biréli Lagrène n’a jamais cherché à « copier » les grandes techniques américaines ou à s’enfermer dans le schéma Django. Son sweep picking, subtil et tout en musicalité, a redonné au jazz manouche une modernité palpitante. On retrouve aujourd’hui chez une nouvelle génération – Adrien Moignard, Rocky Gresset, Antoine Boyer – cette hybridation de la tradition et du technique, inspirée directement par l’inventivité de Biréli.

Que l’on soit musicien ou simple amateur, observer la manière dont Biréli maîtrise le sweep picking est fascinant. Non seulement pour l’aspect technique, mais surtout pour ce que cela dit de sa vision artistique de la guitare : chaque note, chaque geste, reste au service du chant intérieur. Et c’est peut-être là, bien plus que dans la seule virtuosité, que réside le vrai génie de Biréli Lagrène.

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