Un picking alterné à la vitesse de l’éclair

Le picking alterné (ou “alternate picking”) est un pilier du jeu moderne, et Biréli en est un ambassadeur incontesté. Cette technique, parfaitement intégrée à son style depuis ses tout débuts avec le légendaire trio Gipsy Project, lui permet d’alterner pouce et index – ou médiator pour les passages électriques – avec une précision quasi chirurgicale. Sur l’album Standards (1992), dans sa reprise de “Donna Lee”, chaque trait démontre cette vélocité.

  • Articulation parfaite : Biréli utilise la rotation du poignet et de l’avant-bras pour garder équilibre et relâchement, notamment dans les doubles croches à tempo élevé (souvent à plus de 250 BPM !)
  • Mélange de techniques : Il n’hésite pas, à certains moments, à hybrid picking, mêlant l’alterné aux attaques du majeur et de l’annulaire pour créer des textures uniques (écoutez “Hungaria” en live, 2012, source : Biréli Lagrène Live at the Montreux Jazz Festival).

Le legato : du souffle dans les phrases

On parle beaucoup de virtuosité chez Biréli, mais son secret, c’est aussi la fluidité du legato. Slides, hammer-ons, pull-offs : chaque note semble couler naturellement, comme un discours improvisé.

  • Approche vocale : Le legato permet, dans “Nuages” ou “Stella by Starlight”, d’imiter la voix humaine dans les passages mélodiques. Les phrases sont moins cassées, plus chantantes.
  • Maîtrise du timing : Là où beaucoup de guitaristes hésitent au-delà de 140-160 BPM, Biréli conserve un legato net jusqu’à 220 BPM, offrant une continuité qui n’écrase jamais le groove (voir Stella by Starlight, Vienne, 2018).

Le sweep picking au service de l’improvisation

Chez Biréli, le sweep picking n’est jamais figé dans des plans mécaniques façon shredder des années 80. Il en fait une arme pour colorer les accords et étoffer sa palette harmonique, à la manière de grands jazzmen contemporains.

  • Phrases diagonales : Les glissements rapides sur plusieurs cordes donnent de la verticalité à son jeu. Dans “Cherokee” (album Move), écoutez comment ses balayages mêlent notes arpeggiées et chromatisme.
  • Élégance et discrétion : Sa technique, même à grande vitesse, reste musicale : on reconnaît le sweep dans le solo, mais jamais au détriment du chant de la ligne mélodique.

Le secret du rest stroke manouche : attaque, puissance et signature sonore

Impossible d’évoquer le style “Biréli Lagrène” sans s’arrêter sur le fameux rest stroke manouche (attaque au retour avec rebond sur la corde). Hérité de Django Reinhardt, perfectionné par Biréli, il en est aujourd’hui l’exemple ultime.

  • Projection et volume : Le rest stroke, réalisé en forçant le médiator à reposer sur la corde inférieure après chaque attaque, procure cette puissance acoustique immédiatement reconnaissable chez Biréli (cf. Gipsy Project & Friends).
  • Richesse rythmique : Il accentue les temps faibles dans le jeu swing, apportant la pulsation à demander au public de taper du pied. Même amplifié, Biréli conserve cette attaque manouche caractéristique (écoutez l’intro de “Djangology”, source : Djangology Live Session).

Les arpèges jazz, entre sophistication et inventivité

Biréli excelle dans l’art de découper l’harmonie par les arpèges, bien loin du simple accompagnement swing. Il convoque toutes les extensions (9e – 11e – 13e), joue sur les substitutions et les voicings modernes.

  • Mouvements inattendus : Sur “Night and Day” (album Move), écoutez comment il lance des arpèges diminués en passant, ou souligne des changements de tonalités par des arpèges augmentés.
  • Interactivité avec le groupe : Il adapte instantanément la structure des arpèges à ce que joue le contrebassiste, preuve qu’il pense harmonie en interaction (voir son Masterclass, Paris, 2016, source : Euronews).

Bends et slides : l’éloquence expressive

L’ADN du blues imprègne aussi Biréli, et ça s’entend ! Dans ses solos, les glissés (“slides”) relient harmonieusement des positions éloignées, alors que les bends (tirés de corde) insèrent tension et émotion, souvent à la Django… mais aussi à la B.B. King.

  • Expressivité millimétrée : Sur “Blues en Mineur” (live à Samois, 2017), ses bends subtils – parfois juste d’1/4 de ton – renforcent l’ambiguïté entre jazz et blues.
  • Utilisation dynamique : Les slides servent aussi à “casser” le côté trop mécanique des solos rapides, amenant la note à destination avec souplesse.

Une main droite sculptée pour la précision et l’articulation

L’incroyable netteté des notes chez Biréli doit tout à son travail de main droite, héritage des maîtres manouches mais poussé à l’extrême. Observez ses vidéos pédagogiques (notamment sur Gypsy Jazz Academy), et les plus grandes différences apparaissent :

  • Pointe du médiator : Tenue ferme mais relâchée, angle d’attaque d’environ 45°, qui permet d’encaisser la résistance des cordes tout en restant fluide.
  • Jeu guidé par la gravité : Plutôt que de tirer la corde, Biréli laisse le poids du bras effectuer le travail ; le mouvement vient du coude pour les attaques fortes, et du poignet pour la finesse sur les chorus.
  • Articulation distinguée : Chaque note est attaquée intentionnellement, jamais noyée dans la vélocité ; le tout sans jammer le rythme du groupe.

Les octaves : une signature jazz et swing

L’utilisation récurrente des octaves, façon Wes Montgomery, sublime les improvisations de Biréli, en leur donnant ce son à la fois old school et furieusement moderne.

  • Construites comme des mini-orchestrations : Dans “Spain” (reprise hommage à Chick Corea, 2021), chaque motif en octaves fait vibrer la caisse de résonance et remplit l’espace sonore.
  • Variations de timbre : Biréli alterne octaves main levée et main bloquée (“palm muting”), pour offrir une palette de nuances insoupçonnée.

Quand virtuosité rime avec identité

Ce qui frappe, dans le parcours de Biréli, c’est cette alchimie folle entre technique manouche et exigences du jazz international. Derrière les prouesses, il y a un désir constant de raconter une histoire.

  • L’influence de Django reste omniprésente, mais Biréli y ajoute des plans de jazz moderne, des couleurs de la fusion, et même de la world music (son projet avec Sylvain Luc, par exemple, explore le groove funky).
  • Avec ses arrangements redoutables, il fait dialoguer la tradition (rest stroke, swing rythmique manouche) avec des techniques issues du jazz contemporain (sweeping, hybrid picking, voicings étendus…)
  • Pour chaque concert ou enregistrement, il privilégie l’improvisation totale, imposant sa patte sur des standards mondiaux – preuve que son style transcende les écoles, pour parler droit au cœur de l’auditeur.

L’héritage technique de Biréli : entre transmission et innovation

Et si le style de Biréli Lagrène était surtout une invitation à oser mêler les influences ? Derrière sa virtuosité, son jeu est un incroyable laboratoire rythmique et harmonique, où chaque technique – picking alterné, rest stroke, legato, sweeping, bends, slides, arpèges modernes, octaves – trouve sa juste place, au service de l’émotion et du swing. Pour tous ceux qui touchent à la guitare jazz, explorer ses albums live, ses masterclass ou ses collaborations (John McLaughlin, Jaco Pastorius, Al Di Meola, etc.) réserve bien des trésors… et, pourquoi pas, quelques idées à piquer pour enrichir votre propre jeu !

Sources principales : Euronews, Gypsy Jazz Academy, Jazz Hot Magazine, vidéos de concerts Biréli Lagrène (Montreux, Vienne, Samois)

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